Il n’est pas si courant de rencontrer des femmes ou des hommes qui incarnent, avec force et conviction, un rôle (au cinéma), une fonction (en politique) ou une pensée (dans le champ scientifique).
Ce fut le cas, lundi 9 octobre 2017, de Patrick Boucheron, historien et professeur au Collège de France qui était invité à la Maison française d’Oxford (MFO) pour une « conversation ». Cette dernière, en était une. Il n’a pas donné un cours magistral imposant ses idées et monopolisant la parole, mais a échangé avec celles et ceux qui lui posaient des questions sur l’Histoire mondiale de la France, le rapport entre science et société, ou encore ses recherches sur Machiavel, Milan, etc.
Ainsi, il a évoqué :
- son choix, en tant qu’étudiant, pour l’étude de l’histoire médiévale parce qu’elle incarnait le champ disciplinaire le plus libre dans la France des années 1980, comprendre le plus innovant parce qu’interdisciplinaire, à l’opposé de l’étude dogmatique de l’histoire contemporaine: « On pouvait avoir un regard de politiste, de sociologue, d’anthropologue sur l’histoire médiévale »,
- son choix pour l’Italie comme terrain d’étude, « parce que j’avais envie d’aller en Italie (rires) ». Il pense à l’Italie de Jean Giono dans Le Hussard sur le toit qu’il cite, plutôt qu’à celle de Milan qui dans son imaginaire représentait tout le contraire : « Pour moi, Milan était une ville froide. Au début, ça a facilité la prise de distance avec mon objet, parce qu’il fallait tout de même travailler un peu ». Et d’ajouter : « Maintenant, j’aime beaucoup Milan »,
- sa conception matérialiste de l’histoire : « l’histoire ça a eu lieu » a-t-il répété, n’imaginant pas une histoire désincarnée, qui ne résulte pas de lieux, d’espaces, d’endroits, de territoires,
- l’objectif visé avec l’Histoire mondiale de la France qui « n’est pas un manifeste, mais une manifestation, une expérience collective et en temps réel (…) qui veut encourager » à construire un type de narratif historique,
- l’engagement citoyen qui a été le sien à la suite de la sortie de l’Histoire mondiale de la France et des réactions nombreuses et virulentes que l’ouvrage a suscitées. J’aurais été curieux qu’il développe davantage sur ce point, mais le temps a manqué : le scientifique se doit a priori de prendre une place dans l’espace et sur le débat publics ou est-il plutôt là pour réagir « au cas où » ? Il semblait faire comprendre qu’il était de son devoir de réagir aux critiques, de se défendre, de descendre dans l’arêne médiatique… mais qu’il s’en serait bien passé,
- l’évènement de l’année 2017 qu’il ajouterait à l’Histoire mondiale de la France : « Ça ne serait pas l’élection d’Emmanuel Macron à l’Elysée, a-t-il-dit, mais la crise migratoire qui se joue, entre autres, dans la Vallée de la Roya, entre la France et l’Italie ». C’est un espace qui incarne le jeu d’échelles locale/mondiale et c’est un enjeu qui est, pour Boucheron, le « dossier critique » selon les mots de Michel Foucault. Citant ce dernier à trois reprises, il a indiqué combien Surveiller et Punir l’a marqué depuis qu’il est étudiant : « Je ne sais pas si je pourrais réciter des morceaux par coeur, mais j’ai à l’oreille le rythme du livre, j’en connais l’air ».
- la leçon d’un de ses maîtres : « N’écrivez que ce que vous voulez lire ».