Premières lignes - Il ne se passe pas une semaine sans qu’une crise européenne ne capte l’attention des acteurs politiques et médiatiques. Depuis février 2022, le conflit en Ukraine a largement accaparé le travail des représentants des institutions de l’Union européenne (UE) et des États membres qui n’avaient pas anticipé le retour de la guerre aux frontières du continent. En décembre de la même année, c’est le Parlement européen qui était secoué par une affaire de corruption impliquant sa vice-présidente, Éva Kaïlí, remettant en cause l’ensemble des politiques de transparence des institutions de l’UE. Durant les deux années précédentes, la gestion de la pandémie liée au Covid-19 avait fait disparaître des unes des journaux le Brexit qui avait, pourtant, saturé l’agenda politique et l’espace médiatique entre 2016 et 2019. Chaque fois, ces évènements ont été présentés comme des crises, qu’elles soient politique, sanitaire ou encore institutionnelle.
Premières lignes - En 2022, le mot « crise » est apparu dans plus de 340 communiqués de presse de la Commission européenne sur les 1023 publiés. Le terme est employé pour des mesures touchant aussi bien à la « crise du climat et de la biodiversité », à la « crise alimentaire », à un « dispositif d’encadrement temporaire de crise pour les aides d’État3 » ou encore à l’occasion de la publication d’un « code de bonnes pratiques » pour lutter contre la désinformation, notamment dans un contexte de « crises, telles que la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ». Loin de renvoyer à une éventuelle déstabilisation, ces évocations successives ont souvent permis aux principaux acteurs politiques de l’UE de légitimer le rôle de la crise comme vecteur de renforcement du projet européen.
Chapter first lines - Le temps est lourd et ensoleillé, le 16 juillet 2018, quand le Secrétaire d’État à la Défense britannique, Gavin Williamson, convoque la presse et les représentants des pays alliés du Royaume-Uni, lors du salon international de l’aéronautique de Farnborough. Dans un hangar sombre et climatisé, il s’avance au pupitre placé devant un large rideau blanc. À ses côtés, deux hommes, Charles Woodburn, le PDG de BAe Systems, entreprise britannique et leader européen de l’industrie de la défense, et Sir Stephen Hillier qui commande la Royal Air Force (RAF). Il prononce un discours de quelques minutes rappelant la grandeur de la RAF qui fête son centenaire et énumérant les nouvelles menaces auxquelles le Royaume-Uni est confronté. Puis, le rideau s’ouvre sur une musique d’apparat, dévoilant le prototype de l’avion de combat du futur Tempest. Les représentants étatiques et industriels venus de toute l’Europe sont désarçonnés par cette annonce inattendue. Conduisant déjà ma recherche postdoctorale sur la politique britannique d’armement et plus précisément sur l’acquisition de drones militaires par l’État britannique (Faure, 2019b), je décide de m’intéresser à ce qui est perçu par les acteurs de l’armement comme un évènement dans ce même secteur industriel de l’aéronautique militaire.
Chapter first lines - À l’heure de refermer cet ouvrage consacré à la manière dont les acteurs européens se sont saisis politiquement des crises traversées par l’UE depuis le début du XXIe siècle, un retour réflexif s’impose quant aux ambitions théoriques et méthodologiques présentées en introduction. On peut, d’abord, constater une prédominance des crises les plus marquantes du début du XXIe siècle dans les chapitres suivant la partie introductive. On se situe en somme dans la continuité de l’une des principales conclusions de Cyril Benoît et Hugo Canihac : il existe une perméabilité, à laquelle cet ouvrage n’échappe finalement pas, entre les usages savants et indigènes de la crise, celle-ci étant accentuée par un effet de porosité entre sphères politiques et académiques. Les contributions réunies traitent, en effet, de crises qui ont fortement occupé l’agenda européen des dernières années. Le cas du Brexit semble, sur ce plan, constituer un exemple pour le moins emblématique. Survenu en 2016, il est au cœur des contributions de Samuel Faure, d’Anne-Laure Riotte, d’Anja Thomas, de Florian Tixier ou encore de Morgan Le Corre-Juratic, Cal Le Gall et Virginie Van Ingelgom. La crise financière de 2008 et ses suites (Lola Avril), la crise migratoire de 2015 (Anne-Laure Riotte, Morgan Le Corre-Juratic et al.) ou encore celle survenue avec la démission de la Commission Santer à la fin des années 1990 (Vincent Lebrou) sont également analysées. Les questions de sécurité (Agathe Piquet), de défense (Samuel Faure) et de politique étrangère (Stéphanie Novak) ont attiré l’attention de plusieurs contributeurs, tout comme les enjeux démocratique et citoyen (Anja Thomas, Florian Tixier, Morgan Le Corre-Juratic et al.).
[11] Faure, Samuel B. H. and Lequesne, Christian, 2023, “Introduction: Understanding the European Union in the 21st century” in Faure, Samuel B. H. and Lequesne, Christian (eds.), TheElgar Companion to the European Union, London, Edward Elgar, 1-11.
Chapter first lines - There is often a temptation to analyse the European Union through its crises. However, it is an analytical limit to consider the European Union only in terms of crises. It also produces rules on a daily basis that affect the economic and political future of European Member States without necessarily being the subject of extensive conflict. There is a normality in the political work of the European Union that must not be forgotten simply because of the focus on history making events such as Brexit or the debt crisis within the Economic and Monetary Union. For anyone thinking about a Companion to the European Union, the question of its structure and special added value immediately arises. The main challenge is precisely how to capture the normality of the European Union’s politics without neglecting moments of crisis and political breakdown. This is exactly what we are proposing in this edition.
[10] Faure, Samuel B. H., 2022, “Policy styles in Germany, France, and the UK” in Graziano, Paolo and Tosun, Jale (eds.), ElgarEncyclopaedia of European Union Public Policy, London, Edward Elgar, 327-336.
Chapter first lines - Forty years ago, Richardson and his colleagues (1982) observed that Germany, France and the United Kingdom (UK) responded in different ways to similar public problems. The three largest European states were not characterized by the same ‘policy style’ defined as ‘a set of political and administrative routines and behaviors heavily influenced by the rules and structures of the civil service and political system within which it is located’ (Howlett & Tosun, 2018, p. 10). Indeed, it is generally accepted by European public policy scholars that Germany, France and the UK refer to dissimilar cases differing, among other things, in their social model (Esping-Andersen, 1990) and the way they regulate capitalism (Katzenstein, 1978; Hall & Soskice, 2001; Ansaloni & Smith, 2018). However, these three European states are also seen as similar cases when compared to states in other parts of the world that are partly non-democratic, de facto reinforcing the puzzle of their different policy styles (Howlett & Tosun, 2019). The question is therefore how the German, French and British states craft and legitimize their public policies in the 21st century. Do their national modi operandi corresponding to ‘standard operating procedures’ (Richardson, 2019, p. 621), remain divergent to deal with climate change, obesity, food sovereignty or terrorist attacks? Or are they converging towards a similar policy-making model with common characteristics under the impact of European integration and globalization?
[9] Faure, Samuel B. H., 2022, “EU defence industrial policy: From market-making to market-correcting” in Defraigne, Jean-Christophe, Wouters, Jan, Traversa, Edoardo, Zurtrassen, Dimitri (eds.), EU Industrial Policy in the Multipolar Economy, London, Edward Elgar, 382-406.
Chapter first lines - In the post-Cold War context of the early 1990s, the European Commission (Commission) did not have the political legitimacy to develop an industrial policy in the defence sector, and nor was it within the Commission’s competences, despite the signing of the Maastricht Treaty in 1992. Defence industrial policy refers to the regulation of defence procurement and to the production and acquisition by the state of military goods, such as attack helicopters, warships, tanks or drones to defend the national territory. European defence industrial policy is governed by the states that have been organizing their cooperation since the end of the Second World War, initially within transatlantic arenas, such as the North Atlantic Treaty Organization (NATO), and later within European arenas, such as the Western European Union (WEU) (DeVore 2012, 2013). Defence capitalism is structured by a “sovereignty industry” (Bellais et al. 2014, 21–24) around national champions, such as Leonardo in Italy, Dassault Aviation in France, Rheinmetall in Germany, Saab in Sweden and PGZ in Poland. It is therefore not surprising that 80 per cent of arms programmes in Europe are implemented on national territory (de La Brosse 2017), nor to observe the absence of Europeanization of strategic industrial segments, such as combat aircraft (Hoeffler and Mérand 2015). This industrial architecture explains the dependence of European states on...
Chapter first lines - Coopération structurée permanente (CSP), Fonds européen de défense (FED), Initiative européenne d’intervention (IEI), Facilité européenne pour la paix (FEP), Boussole stratégique : la politique européenne de la défense a connu, ces dernières années, l’activation et la création de nouveaux instruments d’action. À écouter certains dirigeants européens dont le chef de l’État français, cette « Europe de la défense » qui n’existait pas en 2017 a, enfin, une réalité et est en capacité de produire des effets, dont la constitution d’une « autonomie stratégique ». Cette idée selon laquelle il y aurait eu plus de réalisations politico-institutionnelles en deux ans qu’en vingt ans est discutée. Il s’agit également d’expliciter les raisons qui conduisent à penser que ce tournant politico-institutionnel est insuffisant pour dépasser les divergences nationales et renforcer une culture stratégique commune. Ce paradoxe apparent s’explique par l’ordre intergouvernemental qui continue de dominer cette politique: les États agissent davantage au sein de l’UE, mais sont, plus que jamais, les maîtres du jeu.
Abstract - Faure’s chapter sets out France’s military strategy under Macron which is not confined either to NATO doctrine or to Europe’s collective defence. In line with his predecessors, Macron has championed a deterrence strategy and a military alliance strategy. The deterrence strategy is rendered credible by the possession of nuclear weapons. France also benefits from having the world’s fifth largest defence budget – bigger than those of Russia, the United Kingdom, and Germany – and a presidential system of government that allows the head of state to decide rapidly to use force if the strategic situation demands it. This deterrence strategy is combined with a military alliance strategy that is based on two pillars: NATO and European strategic autonomy. NATO is seen by Macron as militarily useful to safeguard Europe’s collective security vis-à-vis Russia, thanks to the interoperability of the armed forces. However, NATO is also considered ill-suited to combating the threat of terrorism, which is, moreover, growing as the United States realigns its strategic priorities towards Asia. The French head of state is using this political background to champion the goal of European strategic autonomy, which is presented as complementing NATO. To attain this goal, Macron supports both initiatives within the European Union (PESCO, EDF, and the Directorate-General for Internal Market) and outside it (EI2), as well as bilateral strategic relations, especially with Germany and Russia. The initiatives taken by Macron to further European strategic autonomy and a strategic dialogue with Russia have met with scepticism and mistrust in Europe, because France’s European allies see them as a destabilising factor for collective security. In the 21st century, as in the 20th, France remains a challenge for NATO – and vice versa.
Chapter first line - New approaches to public management, “best value for money”, market liberalization, budgetary constraints and so forth: until the 1970s, these market regulations played no part in the formulation and implementation of arms policy in Europe. At the national level, budget costs were a peripheral consideration (Genieys and Michel 2006) in an arms policy “through which a state made sure of its future ability to equip itself with arms” (Hoeffler 2013: 642). At the European level, states co-operated in order to produce the “best” possible equipment. Cutting production costs was a secondary goal (DeVore and Weiss 2014). However, from the 1980s onwards, market regulations entered into European arms policy. For some, this drive towards liberalization produced different effects in different states (Joana and Mérand 2014; DeVore 2015); for others...
Chapter first line - Our goal of seeking closer co-operation with Germany as well as with those European countries that have the capacity and will to move forward, while also maintaining a solid bilateral relationship with the UK, should allow significant progress to be made'. Thus writes Florence Parly, the French minister for the armed forces, in the preface to the 'Revue stratégique' (strategic review) drawn up at the request of France's president, Emmanuel Macron, and published in October 2017. These words embody the head of state's political philosophy, influenced by the French philosopher Paul Ricoeur, whose research assistant he once was. It can be summed by the formula "et en même temps" ("and at the same time"), which occurred frequently in his speeches. Implementing France's defence policy requires co-operation with the United Kingdom (UK) and at the same time with Germany - co-operation that is on a bilateral, and at the same time minilateral and at the same time multilateral levels. ...
[4] Faure, Samuel B. H., 2018, « Gouvernement » dans Hay, Colin et Smith, Andy (dir.), Dictionnaire d'économie politique, Paris, Presses de Sciences Po, 250-254.
Premières lignes du chapitre - Le terme "gouvernement" est l'un des plus courants en science politique. Dans les manuels d'introduction à la science politique, son nombre d'occurences est incalculable (Lagroye et al., 2012 ; Cohen et al., 2015). Sa notoriété terminologique s'explique par son histoire : le mot "gouvernement" est consubstantiel à la science qui s'est donnée pour objectif de l'étudier et qui est qualifiée de "politique" (Aristote, 2014). Elle se comprend également par le fait que le gouvernement est un mot indigène utilisé par les acteurs politiques et industriels, comme peuvent l'être "marché" ou "pouvoir" (voir les entrées sur ces concepts). De fait, le terme "gouvernement" porte le risque de ne rien dire en devenant tautologique (l'action de gouverner) ou, pis, de reproduire le...
[3] Faure, Samuel B. H., 2017, « L’Europe à la croisée des chemins » dans Lhérété, Héloïse (dir.), Les grandes idées politiques, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 117-120.
Résumé du livre – Il en va des idées politiques comme des couleurs. Il en existe des chaudes et des froides, des primaires, des dégradées et d’infinies variations. En matière idéologique, les options fondamentales sont en petit nombre. Soit vous pensez que le monde est plutôt hostile, les humains rivaux, vous êtes attachés à votre sécurité et au respect de l’héritage du passé (vous êtes conservateur), soit vous croyez à l’initiative privée, vous vous méfiez des forces collectives, vous êtes prudemment attachés au progrès et passionnément à la liberté (vous êtes libéral), soit enfin vous croyez à la solidarité collective, désirez un monde plus égalitaire et pensez qu’il faut s’orienter vers des formes d’organisations sociales radicalement nouvelles (vous êtes socialiste). Mais, en politique, les idées pures n’existent pas. Elles s’arriment à l’histoire, s’ancrent dans le terreau social, se mâtinent au contact des réalités économiques, se nuancent et s’amalgament. D’où parfois l’impression d’un grand brouillage idéologique. Cet ouvrage a été motivé par un souci de clarification. Le lecteur y voyagera parmi chacune des grandes familles politiques actuelles, avec son histoire, ses idées, ses fractures, ses enjeux, ses cousinages européens. Un tel sujet exige de croiser les regards : philosophes, sociologues, historiens, politistes brossent ici un tableau vivant du paysage politique français aujourd’hui.
[2] Faure, Samuel B. H., 2017, « Pourquoi la défense européenne est-elle impuissante ? » dans Le Gouriellec, Sonia (dir.), Notre monde est-il plus dangereux ?, Paris, Armand Colin, 117-122.
Premières lignes du chapitre – L’Union européenne (UE) est impuissante pour assurer la sécurité des citoyens et la défense de ses États membres. Cette évidence est répétée par nombre d’hommes politiques et d’éditorialistes, preuves à l’appui. En 2011, l’UE n’est pas intervenue militairement en Libye lors de la chute du régime autoritaire dirigé par le colonel Mouammar Kadhafi. En 2014, l’UE n’a pas pu empêcher l’annexion de la Crimée en Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine. En 2015 et en 2016, l’UE n’a pas su prévenir les attaques terroristes perpétrées par Daesch à Berlin, Bruxelles, Nice et Paris. En 2017, l’UE n’a pas réussi à endiguer la guerre civile dans la Syrie de Bachar el-Assad. Celles et ceux qui rappellent ces évènements avec exactitude, omettent de préciser que l’action de l’UE dans le domaine de la défense est gouvernée par les acteurs étatiques, et que ses ressources pour élaborer et mettre en oeuvre une politique commune sont circonscrites.
Résumé du livre – Dans le long processus d’affirmation de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) au sein de l’Union, l’opinion publique est devenue une variable stratégique non négligeable. Sans le soutien du public, il est en effet vraisemblable que des progrès substantiels seront difficiles à réaliser. Aussi, dans le Rapport sus la mise en oeuvre de la Stratégie européenne de sécurité, adopté par les Etats membres en décembre 2008, il est précisé qu’il « est essentiel de conserver le soutien du public en faveur de notre engagement au niveau mondial ». Si un grand nombre d’auteurs ont analysé les implications stratégiques de cette PESD, relativement peu d’attention a jusqu’ici été portée à l’analyse de cette opinion publique et encore moins à la manière dont les acteurs politiques peuvent essayer de l’informer, voire de l’influencer pour favoriser l’éclosion de cette identité collective européenne de sécurité et de défense.