Jeudi 14 janvier 2016 a eu lieu une simulation du Conseil européen sur l’enjeu du Brexit, à l’École Polytechnique, dans le cadre du cours introductif aux enjeux de l’Union européenne que j’ai dispensé avec mon collègue Adrien Fauve. Comment cette expérience s’est-elle passée ? Bien. Mais encore ?
- La préparation du Conseil européen
Dès la fin de la semaine dernière, les élèves les chefs d’État et de gouvernement ont été vivement invités à prendre des contacts informels entre eux pour préparer ce Conseil européen, dans le but d’élaborer leur stratégie : quelle position prendre ? A partir de quelle(s) coalition(s) ? Pour quel débouché politique ? etc. Pour faciliter ces échanges, un groupe Facebook (fermé) a été créé ainsi qu’un hashtag #BreX2016 pour tweeter.
De plus, les chefs d’État et de gouvernement devaient envoyer aux enseignants aux responsables du protocole une feuille de route, dans le but de préciser : 1. la place de l’État qu’il.elle représente (chaque élève représentait un État membre ou une institution de l’UE) ; 2. leur point de vue sur le Brexit ; 3. une description de la stratégie adoptée pour les négociations du lendemain.
Face à la complexité des enjeux du Brexit (croissance, politique monétaire, crise des réfugiés, etc.) qui mobilisent autant de points de vues que d’acteurs, les participants devaient débattre sur la base de connaissances spécialisées abordées en cours (droit européen, statistiques, instruments de gestion des flux migratoires, etc.).
- Le Conseil européen
7h55. Les premiers chefs d’État et de gouvernement arrivent à ce « sommet » européen portant sur le retrait du Royaume-Uni de l’UE. Dans la salle des négociations, la présidente de la Commission européenne échange avec Adrien Fauve, le co-responsable du protocole de ce Conseil européen. Dans le couloir, les chefs d’État et de gouvernement se saluent.
8h05. Les chefs d’État et de gouvernement s’installent. Tout le monde est à l’heure… à l’exception du Chancelier allemand (qui arrivera finalement à 8h45).
8h10. Le Chancelier allemand n’est toujours pas arrivé. Le président du Conseil européen décide de commencer la séance. A la suite d’un discours liminaire, il donne la parole à l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement, par ordre alphabétique, comme l’exige le protocole.
Chacun à leur tour, les chefs de délégation présentent leur position par rapport au Brexit. Si la Hongrie et la Pologne sont favorables au Premier ministre britannique, les autres se montrent plus réticents : ils se montrent ouverts à l’idée d’un renforcement de la compétitivité et de l’efficacité du marché intérieur, tout en se montrant critiques concernant la remise en question du droit à la libre circulation. Ce dernier est un pilier de l’UE qui n’est pas négociable, et nombreux sont les chefs d’État et de gouvernement qui rejettent une « Europe à deux vitesses ».
9h20. Le tour de table s’achève. Le président du Conseil européen reprend la parole et invite à une pause de 20 minutes dans le but de favoriser les échanges informels nécessaires à la formulation d’un compromis.
9h45. Les débats reprennent autour de la table du Conseil européen. Le ton monte. Le Premier ministre est sous pression.
10h45. Toutefois, un compromis est trouvé sur l’enjeu économique des négociations ainsi que sur celui de la compétitivité du marché intérieur. Pour le premier, les chefs d’État et de gouvernement s’entendent sur un « droit de commentaire ». Pour le second, ils se prononcent, malgré les réticences du Chancelier allemand, en faveur de la création d’une commission parlementaire au sein du Parlement européen qui vise à « contrôler l’effectivité du flux normatif européen » : légiférer moins pour réguler mieux. Alors que s’ouvre le volet épineux de la crise migratoire, les responsables du protocole se voient contraints d’arrêter les discussions. Le temps manque. Il est déjà l’heure du retour d’expérience.
- Le retour d’expérience
Ce retour d’expérience s’appuie sur la pratique des simulations du Conseil européen que mon collègue Adrien Fauve a développé depuis plusieurs années, avec notre collègue et ami Philippe Perchoc, ainsi que sur son travail de recherche depuis deux ans au sein du projet ANR FORCCAST (voir aussi, là).
Trois idées ont été mises en exergue :
- People : dans le cadre d’une négociation, il s’agit d’abord de considérer les acteurs. Qui est autour de la table ? En cohérence avec l’esprit du cours, Adrien et moi insistons sur la dimension sociologique du politique : les relations sociales comptent pour comprendre un Conseil européen. Le fait, par exemple, que le Chancelier allemand soit arrivé en retard, lui a donné un avantage comparatif « improbable » face à ses homologues puisqu’il a pu s’exprimer après le Premier ministre britannique en chamboulant de fait, l’ordre protocolaire. En bref, si l’on se limite au cadre formel d’un Conseil européen, on perd une partie de l’histoire.
- Problem : il s’agit ensuite d’identifier les enjeux qui ont été mis en avant par les acteurs. Nous avons constaté que le « cadrage » (framing) des négociations ont été les quatre points de la lettre que le Premier ministre britannique a envoyé au président du Conseil européen, il y a quelques semaines. L’ensemble des chefs d’Etat et de gouvernement a repris ce « cadrage » et non celui, significativement différent, de la lettre du président du Conseil européen au Premier ministre britannique ou encore de formuler des enjeux spécifiques.
- Process : enfin, nous avons insisté sur le fait qu’un Conseil européen ne se limite pas à un bargaining d’une durée de trois heures ou de deux jours. Pour comprendre les négociations entre les chefs d’Etat et de gouvernement européens pendant 48h, il est indispensable de les replacer dans l’histoire plus longue et continuelle des relations politiques et diplomatiques qu’entretiennent les acteurs décisionnels européens. Cette histoire contraint la prise de décision et peut avoir des effets inattendus. En science politique, on parle de « dépendance de sentier » (path dependency).
Et en exclusivité, nous nous sommes procurés le texte de la déclaration officielle que le président du Conseil européen, la présidente de la Commission européenne et le HR/VP devraient présenter dans les prochains jours, lors d’une conférence de presse.
- Sur le site de l’école Polytechnique : « Le Brexit se joue à l’X » (16 février 2016)
- Sur le site de Forccast : « Forccast à l’école Polytechnique : retour sur la simulation du ‘Brexit’ » (4 mars 2016)