[12] Faure, Samuel B. H., 2025, Le réarmement des États contre l’Europe. Ce que l’Union européenne a fait de la guerre en Ukraine (2022-2025), Hérodote, 199 (4), 11-28.
Premières lignes – Depuis le début de la guerre en Ukraine, on ne compte plus les déclarations des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne (UE) qui ont exhorté à un « réveil stratégique de l’Europe » [Kahn, 2024]. Le réarmement de l’Europe a ainsi été mis à l’agenda européen comme une priorité politique afin de pallier le manque de capacités militaro-industrielles européennes. Il s’agit d’une condition identifiée comme nécessaire pour assurer la sécurité collective du continent face à la Russie de Vladimir Poutine et pour soutenir militairement l’Ukraine, ce que les institutions de l’UE ont qualifié de « European Readiness ». De Conseil européen en Conseil européen, des décisions ont été prises de 2022 à 2025 pour accélérer la production d'équipements militaires tels que des munitions et des missiles. La Commission européenne a proposé plus d'initiatives réglementaires en trois ans (ASAP, EDIRPA, EDIS, EDIP, Livre blanc, Plan "ReArm Europe" y compris SAFE, Omnibus) que lors des quinze années précédentes.
[11] Faure, Samuel B. H., 2025, Renforcer la puissance stratégique de l’Europe avec la réélection de Trump : 8 propositions politiques concrètes, Le Rubicon.
Premières lignes - Le 6 novembre 2024, Donald J. Trump a été réélu président des États-Unis, fonction qu’il occupe depuis janvier 2025 pour quatre ans. Lors de sa campagne électorale, il n’a eu de cesse de répéter que les Européens devaient davantage financer leur propre défense s’ils voulaient continuer à bénéficier du soutien des États-Unis, et qu’une fois élu, il mettrait fin à la livraison d’armes au profit de l’Ukraine, préférant « négocier la paix » directement avec le président de la Russie, Vladimir Poutine. Dans cette conjoncture incertaine, l’Union européenne (UE) et ses États membres doivent évaluer la manière de renforcer leur capacité d’action stratégique pour aider l’Ukraine et se défendre vis-à-vis de la Russie. Le travail politique à réaliser est colossal et les périls nombreux, mais l’UE dispose de ressources, y compris dans l’opinion publique, qu’il s’agit pour ses acteurs de mobiliser, au-delà des discours incantatoires et des appels au sursaut. Pour traduire la « volonté politique » en instruments d’action et accélérer les initiatives déjà à l’œuvre, huit propositions politiques concrètes sont formulées à l’échelle de l’UE et de ses États membres, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) nécessitant un développement à part entière distinct.
[10] Faure, Samuel B. H., 2024, EU Defence Industrial Policy: Towards a New European Military-Industrial Regime, LUHNIP EU Industrial Policy Report 2024, 178-187.
Executive Summary - The transformation of the European military-industrial regime could be an appropriate political response to the geo-economic challenges facing the European Union (EU) and its member states, including the war in Ukraine. This new European military-industrial regime requires the activation of four politico-institutional changes: the supranationalisation of defence industry governance within the EU, the strengthening of interventionist policy instru- ments vis-à-vis the market, the integration of the European Defence Technological Industrial Base (E-DTIB) and the strengthening of the EU’s actorness to regulate foreign dependencies, known as ‘strategic autonomy’. However, despite certain political and institutional adaptations that have accelerated since 2022, EU Member States have not implemented the ‘great trans- formation’ that is a condition for the emergence of a more effective institutional organisation and policy instruments to govern the defence industry within the EU in a context of increas- ing conflictuality and international instability. How can a new European military-industrial regime emerge within the EU to respond more effectively to the geo-economic challenges of the 2020s? The first part of this chapter takes stock of the European military-industrial regime before the start of Ursula von der Leyen’s second term as the head of the European Commission (2024-2029). The second part outlines the inadequacy of the European military-indus- trial regime to meet the geo-economic challenges of the 2020s. The third part demonstrates the reasons that make the proposed new European politico-military regime more desirable for both states and companies, while listing the political, institutional and economic obstacles to its establishment. The fourth part makes three recommendations aimed at removing these obstacles and activating changes in the short term – i.e. before 2027 – that will enable the EU, its member states and its companies to respond more effectively to the new strategic context.
[9] Faure, Samuel B. H., 2024, Après le rapport Draghi, pour un nouveau régime militaro-industriel européen : 4 propositions, Le Grand Continent [transalted in spanish, ‘Tras el informe Draghi, 4 propuestas para un nuevo régimen militar-industrial europeo’].
Premières lignes - La transformation du régime militaro-industriel européen actuel pourrait représenter une réponse politique adaptée vis-à-vis des enjeux géo-économiques auxquels l’Union et ses États membres doivent faire face : montée en puissance de la Chine, accélération du désengagement des États-Unis en Europe, guerre en Ukraine, attaques hybrides contre des infrastructures industrielles critiques. Le régime militaro-industriel européen est défini comme l’organisation politique et les instruments politiques utilisés par les acteurs de l’Union et ses États membres pour gouverner l’industrie de la défense. Ce nouveau régime nécessite l’activation de quatre changements politico-institutionnels : la supranationalisation de la gouvernance de l’industrie de la défense au sein de l’Union, le renforcement des instruments interventionnistes vis-à-vis du marché, l’intégration de la Base industrielle technologique et de défense à l’échelle européenne (BITD-E) et l’autonomisation des capacités d’action de l’Europe face aux acteurs étrangers.
[8] Faure, Samuel B. H., Zurtrassen, Dimitri, 2024, The EU Defence Industrial Strategy: the ‘Colbertist revolution’ will have to wait, LUHNIP Working Paper Series, 1.
First lines – On 5 March 2024, the European Commission and the European External Action Service (EEAS) presented the first-ever EU Defence Industrial Strategy (EDIS) and the European Defence Programme (EDIP). These initiatives aim to increase EU defence production capacity, cooperation between the Member States on armaments programmes and reduce foreign dependency in the context of the war in Ukraine, the increase in general worldwide national defence capabilities and a possible US disengagement from Europe in 2025. Although it sets out clear political objectives, the content of the Communications does not signify a break with the Commission's initiatives in the field of the defence industrial policy that has been implemented since the 1990s. The interventionist instruments proposed in these texts lack the financial resources and political incentives to achieve the objectives set. Despite the Commission's ambitions, the intergovernmental paradigm remains unchanged. As a result, there has been no "Colbertist revolution" in Brussels.
[7] Faure, Samuel B. H., Zurtrassen, Dimitri, 2024, Stratégie industrielle européenne de défense : la « révolution colbertiste » n’a pas eu lieu, Le Grand Continent [traduit en espagnol, « Estrategia industrial europea de defensa: la « revolución colbertista » nunca sucedió »].
Premières lignes – Le 5 mars dernier, à Bruxelles, les commissaires Thierry Breton, Margrethe Vestager et le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell ont présenté la première « stratégie industrielle européenne de défense » (EDIS, ci-après la Stratégie), complétée par le « programme européen pour l’industrie de la défense » (EDIP, ci-après le Programme). La publication de cette Stratégie (EDIS) et de ce Programme (EDIP) s’inscrit dans le contexte de la guerre en Ukraine déclenchée le 24 février 2022 par la Russie de Vladimir Poutine, de l’augmentation à travers le monde des capacités nationales de défense et d’un possible désengagement des États-Unis de l’Europe après une victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine de novembre 2024. Elle a lieu également quelques mois avant la fin des mandats des dirigeants des institutions de l’Union, les élections européennes se déroulant en juin 2024. La publication de cette stratégie avait été annoncée lors du discours sur l’état de l’Union prononcé en septembre 2023 par la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et fait suite aux engagements pris par les chefs d’État et de gouvernement lors du dernier Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023. La Stratégie avait alors été présentée comme le prolongement de deux initiatives législatives votées à l’été 2023 par le Conseil et le Parlement sur proposition de la Commission, la première portant sur la production d’armement (ASAP), le seconde sur leur acquisition (EDIRPA).
[6] Faure, Samuel B. H., 2024, Réarmer l’Europe ? Ce que la guerre en Ukraine n’a pas changé, Esprit, 3, 172-178.
Premières lignes – Depuis le 24 février 2022, la guerre en Ukraine aurait fait près de 200 000 morts dont 120 000 Russes et 70 000 Ukrainiens : il s’agit de la guerre la plus meurtrière que le continent ait connu depuis 1945. Les responsables politiques nationaux dont Emmanuel Macron et Olaf Scholz, et européens tels que Ursula von der Leyen, Charles Michel et Josep Borrell, n’ont eu de cesse d’insister sur les changements qu’ils ont impulsés depuis lors, afin de réarmer l’Europe et ainsi de se défendre contre la Russie de Vladimir Poutine. L’Europe s’est-elle faite, une fois encore, « dans les crises » selon le mot de Jean Monnet ? Comment la guerre en Ukraine a-t-elle transformé les politiques d’armement et l’industrie de la défense en Europe ? L’Union européenne (UE) et ses États membres sont parvenues, de façon assez inattendue, à construire puis à conserver jusqu’aujourd’hui, une unité politique pour faire face à la Russie et soutenir l’Ukraine. Pour autant, la guerre en Ukraine n’a pas remis en question la distribution des ressources budgétaires et les règles du jeu institutionnel qui ordonnent le système politique et industriel européen dans le secteur de la défense.
[5] Faure, Samuel B. H., 2024, Dix leviers pour rendre l’Europe de la défense « plus forte », Le Rubicon.
Premières lignes – Mardi 30 janvier 2024, le chef de l’État français, Emmanuel Macron, en visite d’État en Suède, a appelé à « bâtir une architecture de sécurité pour protéger notre Europe » et « à avoir une Europe de la défense plus forte au sein de l’OTAN ». Le 17 février, le chancelier allemand, Olaf Scholz, s’exprimait en des termes similaires lors de la conférence de Munich sur la sécurité, en affirmant qu’« Une chose est claire : nous, Européens, devons faire beaucoup plus pour notre sécurité, aujourd’hui et à l’avenir ». Ce discours était prononcé le lendemain de l’annonce de la mort d’Alexeï Navalny, le principal opposant au régime de Vladimir Poutine. Le 26 février, et près de deux ans après le début de la guerre en Ukraine, le Président français organisait une « conférence de soutien à l’Ukraine » à laquelle ont participé une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement à Paris. Lors de son allocution introductive, Emmanuel Macron a noté que du fait d’un « durcissement de la Russie […] Notre sécurité à tous est aujourd’hui en jeu […] Un sursaut est nécessaire de notre part à tous […] L’objectif est de voir sur le plan national et sur le plan collectif comment nous pouvons faire plus ; plus en soutien budgétaire, plus en soutien militaire, plus en capacités mises à dispositif ».
[4] Faure, Samuel B. H., 2022, “EU defence industrial policy: From market-making to market-correcting” in Defraigne, Jean-Christophe, Wouters, Jan, Traversa, Edoardo, Zurtrassen, Dimitri (eds.), EU Industrial Policy in the Multipolar Economy, London, Edward Elgar, 382-406.
Chapter first lines - In the post-Cold War context of the early 1990s, the European Commission (Commission) did not have the political legitimacy to develop an industrial policy in the defence sector, and nor was it within the Commission’s competences, despite the signing of the Maastricht Treaty in 1992. Defence industrial policy refers to the regulation of defence procurement and to the production and acquisition by the state of military goods, such as attack helicopters, warships, tanks or drones to defend the national territory. European defence industrial policy is governed by the states that have been organizing their cooperation since the end of the Second World War, initially within transatlantic arenas, such as the North Atlantic Treaty Organization (NATO), and later within European arenas, such as the Western European Union (WEU) (DeVore 2012, 2013). Defence capitalism is structured by a “sovereignty industry” (Bellais et al. 2014, 21–24) around national champions, such as Leonardo in Italy, Dassault Aviation in France, Rheinmetall in Germany, Saab in Sweden and PGZ in Poland. It is therefore not surprising that 80 per cent of arms programmes in Europe are implemented on national territory (de La Brosse 2017), nor to observe the absence of Europeanization of strategic industrial segments, such as combat aircraft (Hoeffler and Mérand 2015). This industrial architecture explains the dependence of European states on...
[3] Faure, Samuel B. H., 2020, Négocier l’armement au sein de l’Union européenne. Le travail politique de la Commission européenne, Négociations, 34 (2), 47-62.
Résumé - Comment la Commission européenne a-t-elle négocié le « paquet défense » adopté en 2009 dans un secteur d’action publique où elle ne disposait d’aucune prérogative ni légitimité politique ? Par une approche se situant à la croisée de la sociologie de l’action publique et de la sociologie des élites, je mets à jour le « travail politique » initié par la Commission européenne dès le début des années 1990. Ce travail politique est caractérisé par la production de « soft law » (travail discursif) et par la constitution d’une large association d’acteurs (travail relationnel).
[2] Faure, Samuel B. H., 2020, Souverainistes et libéraux en lutte au sein du champ de l’Eurocratie. Le cas de l’adoption du « paquet défense », Critique internationale, 89 (4), 143-163.
Résumé – Qui a défendu la constitution d’un marché intérieur de la défense au sein du champ de l’Eurocratie à la suite de l’adoption en 2009 du « paquet défense » ? Cette analyse met en lumière les acteurs de l’armement qui ont travaillé à ce changement d’action publique et ceux qui s’y sont opposés. M’appuyant sur une enquête de terrain, j’établis que cette rivalité au sommet de l’Union européenne ne se réduit ni aux intérêts nationaux qui opposent entre eux les États membres ni au clivage institutionnel attendu entre la Commission européenne et les États de l’UE. Les acteurs de l’armement défendant l’adoption du paquet défense sont des États membres et des institutions de l’UE, des acteurs publics et des acteurs industriels privés. À partir d’une approche « programmatique » se situant à la croisée de la sociologie de l’action publique européenne et de la sociologie des élites, je mets en lumière deux « associations » d’acteurs en lutte, les « souverainistes » et les « libéraux », qui se positionnent respectivement en adversaires et en partisans de l’adoption du paquet défense. Cette approche contribue à l’étude de la structuration du champ de l’Eurocratie au xxie siècle.
[1] Faure, Samuel B. H., 2019, “Circulation of single market regulations within the CSDP: The case of the ‘defense package’’’ in Delcour, Laure and Tulmets, Elsa (eds.), Policy Transfer and Norm Circulation. Towards an Interdisciplinary and Comparative Approach, London, Routledge, 85-107.
Chapter first line - New approaches to public management, “best value for money”, market liberalization, budgetary constraints and so forth: until the 1970s, these market regulations played no part in the formulation and implementation of arms policy in Europe. At the national level, budget costs were a peripheral consideration (Genieys and Michel 2006) in an arms policy “through which a state made sure of its future ability to equip itself with arms” (Hoeffler 2013: 642). At the European level, states co-operated in order to produce the “best” possible equipment. Cutting production costs was a secondary goal (DeVore and Weiss 2014). However, from the 1980s onwards, market regulations entered into European arms policy. For some, this drive towards liberalization produced different effects in different states (Joana and Mérand 2014; DeVore 2015); for others...